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La parole peut avoir, bien souvent, une fonction ludique ou esthétique ; les mots servent à rendre vivant un récit, ils fournissent la matière à des jeux sonores ou rythmiques... Mais, dans les contes, au-delà (en-deçà ?) d'un simple intérêt décoratif, la parole retrouve un poids que nos sociétés modernes ont fini par oublier. Elle n'y est jamais innocente, mais parfois bénéfique, et le plus souvent dangereuse. À l'instar de ce que l'on retrouve dans de nombreux rites d'initiation, dans les contes, la parole fait l'objet d'un apprentissage. Maîtriser sa propre parole, interpréter celle des autres, savoir quand se taire et quand parler... la Yaga incarne ces différents aspects ; maîtresse du discours trompeur, elle est aussi celle qui juge (et dévore) ceux qui parlent trop.

 

Élément instable, à la fois matériel et immatériel, la parole prend naissance dans la bouche du locuteur mais, comme un fluide, elle s'évapore à peine prononcée et échappe à celui qui croit la contenir. Pour cette raison il faut se méfier des apparences : l'identité est perturbée quand la Yaga se fait forger une voix toute neuve pour attirer un petit garçon dans ses rets. « Forgeron ! Forge-moi une voix flûtée comme celle de la mère d'Ivachka ! »

 

Certains personnages parlent trop vite ; croyant maîtriser leurs propos, ils découvrent que ceux-ci avaient en réalité une portée qu'ils ne soupçonnaient même pas. Ainsi, sans le vouloir, un roi cède son enfant nouveau-né au tsar de l'onde. « Je te donnerai ce dont j'ignore l'existence chez moi ».

 

Mais la puissance de la parole se manifeste surtout en ce qu'elle établit le lien avec le monde des morts. Les mots rituels permettent d'accéder à la Yaga ; « Chaumière, tourne ton visage vers nous, et ton dos à la forêt ». Cependant, comme dans les rites d'initiation, la proximité de l'autre monde est marquée d'un tabou, d'un interdit qui se manifeste dans l'obligation du silence. « Les trop curieux, je les mange ! »

 

Vassilissa-la-belle, sachant se taire à temps, sauve sa vie. Mais le conte, épargnant son héroïne, sacrifie la curiosité de l'auditeur : personne ne saura jamais quels étaient ces trois mystérieux serviteurs de Baba Yaga... « Vassilissa pensait aux trois paires de bras, mais n'en souffla mot ». L'énigme est peut-être, en définitive, ce qui permet la survie du conte...

Le sens de la parole dans les contes russes de la baba Yaga

 

Par Juliette Drigny

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